À quel moment peut-on dire qu'on a complété le pèlerinage de Shikoku? Alors que c'était une évidence pour Compostelle, car bien qu'il ait plusieurs chemins, ils convergent tous vers un point ultime: le tombeau de Saint-Jacques à Santiago de Compostella. Pour Shikoku c'est beaucoup moins clair puisqu'on fait le tour de l'île et qu'on peut commencer par n'importe quel temple. Durant notre pèlerinage, nous avons rencontré des henro qui marchaient dans le sens contraire de nous, d'autres qui visitaient les 20 temples additionnels (bekkaku), certains qui parcouraient une partie seulement des temples, à pied, à vélo, en auto, en bus, seul, en couple, en groupe, etc.
Depuis le début, pour Ashu son pèlerinage s'arrête au temple 88. Pour ma part, il est clair que je dois compléter la boucle et terminer à mon point de départ: le temple 1. Mais est-ce pour autant la fin du pèlerinage? Selon nos lectures et discussions, la fin du pèlerinage serait au Mont Koya, là ou Kobo Daishi serait entré en méditation éternelle.
Le Mont Nyotai
C'est sous la pluie que nous allons rejoindre Okuboji le 88e et dernier temple de ce pèlerinage. Mais avant cela, il y a toute une épreuve qui nous attend. Trois options s'offrent à nous. Après les avoir étudié sur la carte et en demandant conseil au centre des pèlerins, Masaru a choisi l'option C par la route, le trajet le plus long mais le plus facile car relativement plat. Ashu et moi choisissons l'option B, la plus courte et la plus populaire selon le guide. Les options A et B passent toutes les deux par le Mont Nyotai à 774 m d'altitude.
On marche sur un sentier sablonneux, puis on monte des marches et on se retrouve à faire presque de l'escalade. Il faut continuer à gravir en prenant des précautions car le sentier est étroit et monte à pic. Il y a même des barres de métal dans le roc pour se tenir. Le vent se mêle de la partie. Enfin, après de gros efforts, nous arrivons sur une crête. Nous sommes arrivés au sommet mais la vue est complètement bouchée à cause du brouillard et des nuages. Je peux juste imaginer comme cela doit être beau par temps dégagé. Au moins, nous avons le sentiment d'avoir accompli notre exploit du chemin car ce fût de loin l'ascension la plus difficile avec les conditions climatiques comme celles-là.
On comprendra qu'on ne s'attardera pas au sommet. La descente ne sera pas facile non plus. Ce sont une enfilade de marches à des hauteurs toutes différentes mais généralement assez hautes, qu'il faut maintenant descendre pour se rendre au temple 88. Je n'ai plus de flexibilité ni de ressort dans les genoux. Mes jambes sont raides. Chaque pas sur une marche demande un effort et je ressens une douleur dans mes muscles qui ont été un peu trop sollicités. Je me retrouve à descendre de côté pour me ménager un peu.
Temple 88
Et voilà, nous y sommes! Nous arrivons au temple 88 en même temps que Masaru. Malheureusement il pleut encore. Je suis surprise de ne pas rencontrer plus de monde ici. Nous ne sommes qu'une poignée de henro. Il s'agit d'un temple comme un autre, pourtant c'est le dernier de cette marche d'environ 1,200 km. Pas de grandes émotions, pas de grande joie, c'est le calme qui règne. Je ne sais pas comment interpréter ce moment. Je suis calme et heureuse d'être là, d'avoir parcouru tous ces km avec Ashu mais après toute cette marche, qu'est-ce que cela représente? Et maintenant on fait quoi?
Là non plus nous ne nous éterniserons pas. Après les formalités d'usage et bien sur la photo avec mon Henro préféré et sa barbe longue de 44 jours, nous allons prendre un dernier repas avec notre ami japonais. Une tempura udon soup dans le restaurant à côté du temple, ce qui nous permettra de prendre un répit de la pluie et de sécher nos vêtements.
On redescend par la route et on perd Masura de vue, qui a du prendre un autre chemin. Ashu pense faire un bon coup en voulant prendre un raccourci. Les pancartes ne m'inspirent que moyennement confiance mais Ashu semble sur de lui. On finit par se retrouver dans un cul-de-sac au bord d'un étang, ce qui me fait pester contre Ashu car nous avons marché 1/2 h de plus inutilement. Une brave dame qui nous revoit passer en sens inverse nous fait comprendre que nous étions dans la mauvaise direction. Il fallait continuer sur la route!
Nous arrivons quand même à 13h30 à l'onsen Shiroti, mon choix d'hébergement pour cette nuit. L'établissement est en pleine campagne, entouré de cerisiers en fleur. Nous rencontrons un groupe avec de jeunes trisomiques forts sympathiques qui quittent.la place.
L'onsen est un grand établissement et on profite doublement des bains thermaux: une fois en après-midi et après le souper. L'eau du 1er bain est à 42 degrés et sent le souffre. Elle laisse la peau toute douce. Le 2e bain est moins chaud et fait un peu jacuzzi. Je me prélasse et me délasse et profite aussi du sauna extrêmement chaud et avec beaucoup de vapeur. Je ne pouvais pas espérer mieux après cette journée. C'est la récompense du pèlerin!