Le samedi 24 juin 2023, Diane et moi, avons chaussé nos bottes de randonnée et nous sommes parties de Mont St-Pierre avec pour objectif de parcourir en 12 jours les derniers 220 km qui nous séparent de la borne zéro et du bout du monde à Pointe-Gaspé. Il s'agit de la 4e et dernière partie de notre longue randonnée de 650 km sur le Sentier International des Appalaches que nous avons commencé en 2020.
La vue d'une borne de kilométrage du SIA est toujours un moment de joie car on se rapproche du but ultime: la borne zéro.
Les sections de la Haute Gaspésie et de la Côte de Gaspé sont réputées pour être les moins difficiles. On va alterner entre les villages du bord du fleuve, longer la grève du St-Laurent et rentrer dans les terres sur des chemins forestiers, marcher dans le bois et aussi traverser des parcs d'éoliennes et, pour finir, traverser le parc national de Forillon. Il s'agit donc d'une section plus variée que les autres, avec moins de sommets à gravir mais comme dirait Diane ''Sur le SIA, il n'y en a pas de facile!''.
Jour 1 et 2: quelques beaux points de vue sur le fleuve et une petite section dans une cedrière avec de vieux arbres vraiment magique.
On a bien pensé à notre envolée en delta plane qui n'a pas pu se réaliser l'été dernier mais on s'est contenté d'une simulation et de s'imaginer volant dans les airs. Nous avons d'autres rêves à réaliser...
Il a fait un temps magnifique tous les jours, mis à part les deux premières journées sous le smog et la boucane des feux de forêt venant la côte nord qui nous a donné un départ sous une lumière jaune et un soleil rouge dans le ciel procurant un sentiment étrange de fin du monde imminente. Et bien, justement on s'en va jusqu'au bout du monde! Le jour 2, au départ de Mt Louis, le smog était tellement épais qu'on a eu quelques difficultés à trouver le début du sentier mais cela a fini par s'éclaircir en mi-journée et l'odeur de fumée a disparu. Cela ne nous a pas incommodé pour gravir les marches du sentier de croix au mont St-Pierre ni le mont suivant.
Quelques points de vue et paysages observés au fil des jours
Je vous parlerai d'abord des difficultés que nous avons rencontrées. Puis, je vous présenterai tous les aspects positifs de cette longue randonnée car vous l'aurez compris, pour moi cela a été une expérience extraordinaire. Mon amour pour le plein air, la nature et la randonnée surpasse tous les ''petits'' désagréments rencontrés.
Pour moi, le plus gros désagrément durant les 12 jours a été les insectes. Il fallait s'en douter, en partant aussi tôt dans la saison (fin juin), dès qu'on entrait dans le bois, c'était le festival des moustiques, brulots et mouches à chevreuil qui commencait. Je ne sais pas si j'exagère, mais dès qu'on s'arrêtait, il y avait une centaine de moustiques féroces qui nous tournaient autour. Et comme ils m'adorent, j'ai eu des dizaines et des dizaines de piqûres par jour. On a fini par développer une dépendance au chasse-moustique OFF, qui est devenu le parfum préféré de Diane, à tel point que quand elle a réalisé qu'elle pourrait en manquer, elle a demandé un lift au propriétaire du motel de St-Yvon pour aller en chercher au dépanneur du village voisin de Chloridorme.
Et bien entendu, quand on arrivait dans nos abris / refuges, la lutte contre les moustiques continuait. La stratégie de Diane consistait à dormir avec son filet anti-moustique sur la tête. Pour ma part, j'ai essayé une fois de dormir dans mon bivouac mais il y faisait trop chaud. À force d'entendre des bzzzzzz dans ses oreilles, Diane a cru qu'elle était en train de développer des accouphènes. Ma stratégie la plus efficace pour m'endormir a été de mettre mes bouchons pour ne plus les entendre.
Nos stratégies de lutte contre les moustiques
Le deuxième désagrément a été l'état de certaines parties du sentier qui n'avaient pas encore été nettoyées: les journées 6 de Grande-Vallée aux Terrasses et 8 de St-Yvon au Zhéphir. La journée 10, il y avait une section fermée et on a marché sur le sentier forestier à la place. Avec de nombreux arbres tombés en travers du chemin, il a fallu les enjamber, les contourner ou même ramper en-dessous, ce qui bien entendu a considérablement ralenti notre rythme. À ceci, s'ajoutait certaines sections qui montaient à pic pendant longtemps et sur lesquelles on ne faisait pas plus que du 1 km/heure. On a retrouvé les cordes qu'on pensait ne plus revoir dans cette section du SIA. Il a eu aussi 2 traversées à gué car les ponts avaient été détruits et pas encore reconstruits, quelques passerelles suspendues sur lesquelles on ne pouvait s'aventurer qu'une à la fois et qui tanguaient à chaque pas. Enfin, on a aussi eu quelques sections (mais peu nombreuses) avec de la boue et encore plus de moustiques.
À cela, s'ajoute le fait que j'avais planifié plusieurs journées de marche un peu trop ambitieuses avec des 22 km et +700 metres de dénivelé positif. Ce qui fait qu'on a battu notre record de la plus longue journée de marche sur le SIA soit un 10h50, de St-Yvon au Zéphir entre le km 100 et le km 77, incluant les pauses et notre arrivée la plus tardive au refuge a été à 19h30 à L'Érablière.
Il n'y en a pas de facile sur le SIA!
Les traversées de passerelle
Une autre difficulté pour moi aura été les ampoules. Ma première ampoule est apparue sur le talon gauche à la fin de la journée 7, alors qu'on venait de terminer une journée longue de 22,5 km (9h10) entre l'abri des Terrasses et le Motel de St-Yvon. C'est d'ailleurs la seule journée ou on a terminé trempé de la tête aux pieds. Il y avait tellement de moustiques cette journée-là qu'on a aussi fait probablement moins de pauses pour aérer nos pieds.
La 2e ampoule au gros orteil gauche est apparue le lendemain après notre plus longue journée de 10h50. Cette journée-là, on a commencé par marcher 5 km sur la grève, 5 km le long de la Route 132, puis le reste dans le bois dans un sentier difficile car pas encore nettoyé cette saison.
La 3e ampoule au talon droit est arrivée le jour 9 malgré mes précautions car je la sentais venir et j'avais mis de l'Hypafix pour protéger mon talon. Mais c'était encore une autre grosse journée de 22 km (10h40) entre le refuge du Zhéphir et L'érablière.
Je pensais que c'en était fini avec les ampoules. Et bien non! Une 4e est apparue le lendemain matin après notre dernière journée au petit orteille droit.
C'est bien la première fois que j'ai autant d'ampoules durant une grande randonnée. Même Diane a développé sa première grosse ampoule du SIA. Malgré tout, j'ai réussi à bien gérer cela avec la technique du fil et de l'aiguille pour percer l'ampoule, la désinfecter et mettre un bon pansement par-dessus. Pour la douleur, il faut aussi apprendre à gérer cela. Pour moi c'était pire dans les descentes.
L'arrivée trempées à St-Yvon et la gestion des ampoules
Enfin, ce que j'ai moins aimé aussi de cette section du SIA c'est qu'à plusieurs reprises on devait marcher le long de la 132. Ceux qui pensent que c'est plus facile et bien ce n'est pas toujours vrai. Il n'y a peut-être pas de difficultés techniques et on peut aussi marcher plus vite mais la côte de Gaspé porte bien son nom car des côtes il y en a, en plus sans ombre. On a donc eu parfois très chaud le long de la 132. Ce qui était plus agréable c'est quand on voyait le bord de l'eau avec de beaux points de vue ou bien quand on arrivait dans un village avec un bar laitier pour la crème glaçée, sinon c'était un peu ennuyeux.
Marcher le long de la Route 132...
On n'a jamais manqué de source d'eau mais juste rencontré quelques défis dans le parc Forillon car l'eau se fait plus rare et il faut faire preuve de patience pour remplir sa bouteille dans un filet d'eau
Parmi ce qui m'a le plus plu sur ces 220 derniers km du SIA c'est la variété du sentier qui peut nous faire marcher en une seule journée le long de la grève du St-Laurent, à travers un village le long de la 132, sur un chemin forestier, au travers d'un parc d'éoliennes et dans le bois.
On a été chanceuses car la marée était toujours basse le matin quand on partait marcher sur les galets et j'ai adoré marcher au son des vagues. On a eu la chance de voir un phoque mais pas de baleine.
Marcher le long de la grève n'est pas toujours facile mais oh combien gratifiant!
Ah! Les balançoires! On ne sait jamais quand on va en croiser sur notre chemin mais cela fait certainement le bonheur de Diane. Il y a eu aussi quelques points de vue avec banc qui ont été fort agréables. Une fois dans le parc Forillon, le sentier devient plus aménagé et Diane décide d'essayer chacun des nombreux bancs qui sont sur notre chemin. Elle me fera bien rire quand je l'entendrai dire à des touristes assis là qu'elle entreprend une étude exhaustive sur les bancs du parc. Je ne suis pas certaine qu'ils aient compris le concept.
Les pauses qui font du bien
Les petits plaisirs du SIA:
- trouver une balançoire pour se bercer au bord du fleuve
- prendre un bain de pieds dans l'eau fraîche une journée chaude
- prendre une pause et enlever ses chaussures et chaussettes pour aérer ses pieds
- manger une crème glaçée molle après avoir sué notre vie
- faire du glamping après plusieurs jours à dormir avec les moustiques dans les abris
- prendre une bonne douche et enfiler du linge propre après avoir sué 4 jours dans le même linge
- manger une salade de quinoa avec de la mayo lors de la pause du midi (moi)
- manger des tortillas au beurre de peanut tous les midis (Diane)
- trouver un dépanneur ou un bar / restaurant pour prendre un bon café ou un repas non déshydraté
- manger un bon gruau tous les matins (pas vrai, celui c'est pas un petit plaisir... beurk! Je suis plus capable!)
- jouer une partie de YUM, notre rituel du soir avant d'aller se coucher (c'est Diane qui a gagné le + de parties)
Les plaisirs gourmands du SIA
Les rencontres sur le sentier ont été rares mais marquantes (seulement 6 marcheurs de longue randonnée en 12 jours). Il nous est arrivé de marcher 3 jours avanr de croiser un randonneur. Il y a eu:
- Jour 1: un couple de randonneurs d'un jour sur le chemin de la Croix du Mont-St-Pierre.
- Jour 1: B minus: un thru-hiker qui n'en était pas à sa première longue randonnée, qui marchait en sandales, parti de la borne zéro et qui s'en allait jusqu'en Géorgie.
- Jour 2: Clémence (bénévole du SIA responsable de la section Haute-Gaspésie) et René. Pour la petite histoire, René a été très surpris quand je lui ai demandé en le croisant si c'était bien Clémence qui était en train de couper des branches car ils ne me connaissaient pas, mais je suis une ancienne collègue de sa nièce, qui m'a souvent parlé de sa tante bénévole du SIA. Ils étaient à la recherche d'un téléphone cellulaire perdu la veille dans ce secteur qu'ils ont fini par retrouver.
- Rabit Leg: un thru-hiker Ontarien rencontré en même temps que Clémence et René parti du nord de Terre-Neuve qui s'en allait aussi faire l'Appalachian Trail jusqu'en Géorgie. C'était la 1ere fois depuis la borne zéro qu'il rencontrait autant de monde (3) sur le SIA.
- Jour 3, 4, 5, 6: Judith et Mario, un couple de Québécois super sympathiques, qu'on rencontrait tous les jours car ils faisaient les mêmes trajets quotidiens que nous mais en sens inverse, en stationnant une auto à chaque extrémité, ce qui leur permettait de marcher avec un sac léger de jour.
- Jour 9: Florian de la Suisse, qui marchait nus pieds quand on l'a croisé dans le bois et qui marchait avec des sandales quand c'était plus difficile. Il était parti de Forillon et ne savait pas encore jusqu'ou il irait.
- Jour 12: Joseph, un étudiant finissant Texan, qui venait tout juste de commencer sa randonnée de Forillon et qui voulait se rendre jusqu'en Géorgie.
Nos rencontres sur le SIA: B-, Rabbit Leg, Clémence, René, Judith, Mario, Florian et Joseph
Le fait de traverser des villages et de dormir dans d'autres hébergements que les abris et refuges nous ont aussi permis de faire de belles rencontres, comme l'employée du camping Parc et Mer de Mont-Louis qui nous a donné de bons conseils et qui nous a permis de changer notre réservation de camping pour le dortoir, nouvel hébergement à seulement 25$, donc moins cher que les abris et refuges du SIA et avec en prime le confort d'un vrai lit, d'une douche et un accès à une cuisinette équipée.
Il y a aussi eu André, au camping du Soleil couchant de Grande-Vallée qui nous a fait un prix de randonneur pour dormir dans une roulotte prêt-à-camper, le gros luxe, et qui nous a parlé avec passion de son projet de film Au Coeur de la Bataille du St-Laurent, qui raconte l'histoire d'un navire torpillé par les sous-marins allemands lors de la 2nde guerre mondiale. Au coût de 10$, on est allé voir la présentation dans un bâtiment construit en forme de navire qui se transforme en lieu de spectacle de musique les fins de semaine.
Autre belle rencontre: celle du propriétaire de la pourvoirie Beauséjour qui a malheureusement décidé de fermer en raison des problèmes de santé de sa femme, un homme fier de sa région, qui a travaillé fort pendant 35 ans à s'occuper de sa pourvoirie.
Lieu de présentation du documentaire Au Coeur de la Bataille du St-Laurent
Couchers de soleil du SIA
À mon avis les plus beaux paysages c'est lors de notre 12e et dernière journée qu'ils s'offrent à nous. Il fait un temps magnifique et bien que ce sera une autre longue journée de plus de 24 km, on est récompensé tout le long par de nombreux points de vue sur le golf du St-Laurent. Puis, du haut de la tour du Mont-Alban, la majesteuse Pointe-Gaspé se dévoile devant nous dans toute sa splendeur. C'est le bout du monde et la fin des montagnes des Appalaches que nous avons monté et descendu sur ce sentier de 650 km. Les émotions sont de plus en plus fortes car cela sent la fin.
Ma seule déception du SIA aura été de ne pas réaliser mon rêve de croiser un orignal sur le chemin, pas un seul durant nos 650 km de marche et pourtant ce ne sont pas les signes qui manquaient. Encore une fois, quotidiennement nous avons vu des traces et crottes d'orignal mais ils n'ont pas voulu se montrer.
Par contre, nous avons vu des faucons, des couleuvres, des grenouilles et crapaux, des perdrix dont une aggressive qui menaçait de nous attaquer, une salamandre orange, des guillemots à miroir, un phoque, des petites baleines le jour de notre départ à Mont St-Pierre et plusieurs baleines au loin du golf lors de notre arrivée.
La vue du phare me remplit d'émotions. Les larmes et sanglots montent car je réalise que ça y est nous y sommes à la borne zéro. C'est un moment inoubliable ou nous partageons nos larmes de joie, de fatigue et de tout ce que ce long chemin a représenté pour chacune de nous.
Je suis fière de ce que Diane et moi avons accompli. Il n'y en a pas eu de facile c'est vrai, mais nous avons dépassé nos limites. Selon la définition de Wikipedia, nous ne sommes pas des thru-hikers car pour cela il aurait fallu compléter le SIA en une seule fois mais nous pouvons dire fièrement que nous sommes des section-hikers.
À cette époque ou tout va vite et ou la mode semble être à la performance et à compléter des records de traversées, nous avons choisi de prendre notre temps et la voie de la contemplation. Commencé durant la COVID en 2020 avec ma grande amie Diane, je termine donc le 5 juillet 2023 ce SIA avec un sentiment de satisfaction et de mission accomplie.
Un gros merci à Diane pour avoir embarqué dans cette aventure avec moi, même si ce n'était pas ton rêve de faire le SIA et que cela te sortait de ta zone de confort, tu n'as pas lâché. Bravo! Un autre gros merci à toute l'organisation du SIA ainsi qu'aux bénévoles pour l'entretien des sentiers. Sans vous, cela n'aurait pas pu être possible. Enfin, un autre merci à toutes les randonneuses et randonneurs ainsi que les gens qui ont été mis sur notre chemin. Chaque rencontre, chaque moment à échanger avec vous égayait notre journée. On sentait qu'on faisait partie d'une communauté et qu'on était soutenu. Merci aussi aux gens de la Gaspésie pour leur hospitalité.
Le décompte est commencé! 9-8-7-6-4-2-1-zéro! Mais ou sont donc passées les bornes 10 - 5 - 3???